Le calcul haute performance, un outil précieux pour simuler le climat 

Le calcul haute performance, aussi connu sous le nom HPC, permet d’effectuer des calculs complexes et de traiter des données massives à des vitesses élevées bien au-delà des capacités humaines grâce à des milliers de nœuds de calcul permettant de réaliser une ou plusieurs tâches en parallèle. Parmi les secteurs qui recourent le plus au calcul haute performance figure la climatologie (et la météorologie).

Et c’est précisément le sujet que nous avons choisi d’aborder avec Xavier Fettweis, Climatologue et Professeur à l’Université de Liège en Belgique. 

Xavier Fettweis, ULiège Geographie. Photo Jean Louis Wertz

Xavier Fettweis utilise le Modèle Atmosphérique Régional (MAR), un modèle climatique tridimensionnel à haute résolution spatiale. Développé depuis la fin des années 90’ pour étudier les régions polaires (et notamment la fonte du Groenland), le modèle MAR est activement utilisé par le Laboratoire de Climatologie de l’Université de Liège. «Nous faisons tourner le modèle MAR sur le Groenland, l’Antarctique et l’Europe. Grâce à ce modèle, reconnu internationalement, nous sommes devenus un acteur de référence pour le GIEC à qui nous fournissons les chiffres relatifs à la hausse du niveau des mers suite à la fonte des calottes polaires. Nous sommes tenus de réaliser des projections de 150 ans (1950-2100) pour chaque modèle global et chaque scénario. Le modèle MAR permet aussi, bien entendu, d’établir des prévisions météorologiques ou projections climatiques futures très précises pour la Belgique. »

A gauche, extrême de précipitation sur 3 jours simulé par le modèle global allemand MPI-ESM1-2-HR
pour la fin Juillet 2034 (en mm / 3 jours). A droite, le même événement simulé à 5km de résolution par le
modèle MAR forcé par MPI-ESM1-2-HR. Cet événement suggéré en 2034 est identique à celui observé
en juillet 2021.

Le HPC, outil incontournable pour la simulation climatique ?

Le développement des modèles du climat et leur utilisation pour prévoir et comprendre le système climatique ont été rendus possibles grâce à l’utilisation du HPC et à la croissance de la puissance de calcul.  « Cette activité de simulation serait impossible à réaliser sans les supercalculateurs. Par exemple, si l’on souhaite faire tourner le modèle MAR sur 150 ans, nous initions plusieurs simulations en parallèle qui portent sur des périodes de 5 ans. Vu que l’opération doit être réalisée pour une petite dizaine de modèles globaux sélectionnés dans la base de données du GIEC (il y en a une trentaine en tout) et ce, pour les 4 principaux scénarios futurs du GIEC,  le travail de simulation porte sur des milliers d’années ! » 

Combien de temps faut-il pour simuler un an ? 

« Je dirais qu’avec 12 CPU’s, une année de simulation MAR sur la Belgique à 5 km de résolution prend environ 1 à 2 jours de calcul. Pour les régions polaires, cela peut être plus long, tout dépend de la résolution spatiale ; plus la résolution spatiale est élevée, plus cela prend du temps. Il faut compter une augmentation d’un facteur 8 pour un gain en résolution spatiale d’un facteur 2. Pour vous donner un ordre de grandeur, effectuer un an de simulation prend typiquement 3 à 4 jours pour couvrir le Groenland à une résolution de 10 km et une bonne semaine de calcul est nécessaire pour couvrir l’Antarctique à une résolution de 20 km. »

Le recours aux supercalculateurs locaux et/ou européens 

Nous l’avons mentionné, la climatologie figure parmi les secteurs les plus consommateurs de calcul intensif. « Chaque pays utilise, en priorité, des infrastructures locales de calcul que ce soit pour la météorologie ou la climatologie. Faire tourner les modèles du climat nécessite des CPU’s ce qui justifie l’utilisation, en priorité, de supercalculateurs locaux. Le Département de Climatologie de l’Université de Liège recourt aux infrastructures de calcul intensif du Cenaero et du CECI. Il arrive aussi que certains programmes tournent sur des supercalculateurs internationaux que ce soit en Finlande ou en Italie où nous avons accès au supercalculateur international du Centre Européen (ECMWF) utilisé, notamment, pour les prévisions météorologiques à moyen terme. » 

Impact environnemental de l’utilisation du HPC 

Les super calculateurs sont énergivores. Peut-on évaluer la « balance » entre consommation énergétique et « ROI » de l’activité ? 

« C’est une très bonne question qui préoccupe la communauté des climatologues : réaliser énormément de calculs pour démontrer le réchauffement climatique peut sembler aberrant. C’est la raison pour laquelle, il serait peut-être bon d’espacer la publication des rapports du GIEC. Car publier systématiquement un rapport tous les 5-7 ans n’est pas forcément utile : la science n’a pas toujours évolué et il est parfois inutile de refaire tourner tous les modèles du climat (les modèles globaux puis les modèles régionaux et les modèles d’impact) pour obtenir des chiffres qui, au final, seront probablement fort proches de ceux du précédent rapport. Évidemment, cela n’empêche pas de réaliser, entre deux rapports, d’importantes simulations si une amélioration dans les modèles ou une observation suggère qu’un important processus ou rétroaction positive n’a pas encore été pris en compte dans les projections futures du climat. »

Le calcul haute performance, révélateur du réchauffement climatique ? 

Les derniers rapports du GIEC ont  pointé les modifications récentes du climat et ont finalement établi un lien direct entre l’activité humaine et le réchauffement climatique. Ce constat a-t-il pu être établi grâce aux supercalculateurs ? 

« Tout à fait ! En intégrant l’augmentation des gaz à effet de serre dans les modèles globaux, nous avons été capables de reproduire, par simulation, les phénomènes que nous connaissons aujourd’hui à savoir : les augmentations de températures, la fonte des calottes polaires, la hausse du niveau des mers, les événements extrêmes plus fréquents et plus intenses,… Si nous n’intégrons pas les émissions de gaz à effet de serre émis par les activités humaines, à ce moment-là, les modèles ne sont plus capables de simuler les changements que nous connaissons aujourd’hui. C’est ainsi que le GIEC a pu établir un lien, désormais indiscutable, entre l’activité humaine et le réchauffement climatique. Il y a 30 ans, seuls les modèles suggéraient le réchauffement climatique alors qu’aujourd’hui, les observations confirment ce que les modèles prédisaient. »

La Belgique, moteur de changement ? 

En Belgique, la principale source des émissions de CO2 est le transport de marchandises et de personnes. « Pour contribuer à limiter notre empreinte carbone, l’idéal serait de privilégier le transport de marchandises de proximité par trains. Ce serait déjà une piste d’action à privilégier. Au même titre que l’adoption de la mesure Stop au Béton afin de conserver les espaces verts et limiter les espaces construits (bétonnés) en privilégiant les projets de rénovation au profit de nouvelles constructions. La Belgique et l’Europe devraient montrer l’exemple en passant à l’action car si on veut limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100, c’est dès maintenant qu’il faut se bouger ! »

« Modélisateurs du climat » : un profil très recherché !

Des investissements importants sont actuellement réalisés dans la recherche en  climatologie et certains profils viennent à manquer ; c’est le cas des modélisateurs du climat.

Ces profils, en général, diplômés en sciences exactes (géographes, physiciens, mathématiciens, …) ou sciences appliquées (ingénieurs, informaticiens, …) sont fortement recherchés par le secteur de la climatologie mais aussi par le monde des assurances et des énergies renouvelables par exemple. Intéressés d’en savoir plus ? ☞  https://www.youtube.com/watch?v=OEN8z_XfzCA

Image © Dominique Müller