Recherche & Technologie : rencontre avec Ingrid Lepot du Cenaero

Derrière de petites lunettes rondes, un regard profond qui exprime sérieux et détermination. Ne cherchez pas Ingrid Lepot sur les réseaux sociaux, vous ne la trouverez pas ! C’est au cœur du Parc Scientifique et Technologique de l’Aéropole de Gosselies (Belgique) que nous l’avons rencontrée, dans les bureaux du Centre de Recherche en Aéronautique « Cenaero.» 

Centre de recherche appliquée, Cenaero est devenu en 20 ans un partenaire digital de premier plan de l’industrie et de la communauté scientifique.

Quel est ton rôle et depuis combien d’années travailles-tu à Cenaero ? 

Je suis responsable de la R&T (Recherche et Technologie), et à ce titre je veille à la pertinence et à la mise en résonance des différents thèmes technologiques développés à Cenaero, car nous adressons et couplons de multiples disciplines et domaines. J’assume également la coordination du développement d’activités pour les secteurs de l’aéronautique et du spatial, tant en termes de projets collaboratifs que de contrats industriels. Les deux rôles vont de pair car ces secteurs sont particulièrement demandeurs et pionniers en termes de capacités numériques.

Je travaille à Cenaero depuis août 2004, j’ai donc rejoint le Centre de Recherche à ses débuts et à la suite de ma thèse de doctorat. J’y ai été engagée pour démarrer les activités de simulation aérodynamique des écoulements internes, au service de la conception des turbomachines. Le sujet m’a absolument passionnée et cette passion ne m’a plus quittée !

Quelle est ta formation de base ?  

Je suis ingénieur civil physicien de formation, avec une spécialisation dans les  « milieux continus ».  Comme le nom ne l’indique peut-être pas, cette formation est essentiellement orientée vers les mathématiques appliquées, et notamment vers les méthodes numériques de résolution de systèmes équations aux dérivées partielles. J’ai réalisé une thèse de doctorat en mécanique des fluides numérique.

Cenaero est présent, cette semaine, au Salon International du Bourget. Peut-on décrire, en quelques mots, l’expertise aerospace et défense du Cenaero  ?

Cenaero est un Centre de Recherche appliquée, qui dispose d’une filiale en France, à Moissy-Cramayel près de Paris. C’est un acteur de la recherche 100% digital, la simulation numérique, le calcul haute performance et l’intelligence artificielle sont nos cœurs de métier. Nous les synergisons au service des applications industrielles que nous traitons et nous opérons le super-calculateur Tier-1 de la Région Wallonne « Lucia » au bénéfice du tissu académique et industriel régional. 

En tant que centre de recherche appliquée, notre mission est remplie quand nous faisons maturer à (très) grande vitesse le niveau de TRL (Technology Readiness Level), i.e. de 1 à 3 niveaux en 1 an, des méthodes et méthodologies numériques (simulation, modélisation, optimisation, détection de défauts, contrôle, …) que nous développons au service de la conception disruptive des produits de nos partenaires industriels, ainsi que de la maîtrise de nouveaux matériaux et procédés, qui est particulièrement stratégique pour ces secteurs.

Depuis la création de Cenaero, nous avons travaillé à concrétiser une vision numérique intégrée matériau/procédé/produit, afin d’intégrer toujours plus de réalité et de représentativité dans les méthodologies d’optimisation assistées par la simulation et le machine learning que nous développons, afin qu’elles soient des instruments décisifs d’aide à la conception et à la décision pour nos partenaires industriels. Le design pour la fabrication « First-Time-Right » des pièces, l’éco-conception, mais aussi la conception pour la désintégration « Design for Demise » pour les satellites et véhicules spatiaux, sont autant de déclinaisons très concrètes que nous mettons en œuvre dans nos démarches, technico-économiques,  d’optimisation.

Cenaero est-il impliqué dans les programmes de Défense ?

Par essence, les méthodes et techniques que nous développons sont à dominante « dual use ». 

Plusieurs projets ont été récemment soumis , qui s’alignent avec de légitimes préoccupations de souveraineté nationale et européenne dans le contexte géopolitique que nous connaissons. Et ce mouvement est amené à s’amplifier.

Les atouts de Cenaero restent tout aussi différenciants pour les applications défense.

Sur base de ton expérience, quelle perception as-tu du secteur Aérospatial et Défense aujourd’hui ? 

L’aéronautique est un secteur de pointe aux cycles de développement complexes et longs. Face aux enjeux environnementaux et aux plans ambitieux de décarbonation, ultra-frugalité puis net zero à l’horizon 2050, nous connaissons une accélération inédite des cycles de développements et d’innovation au même titre que le développement de technologies dites disruptives. Les années qui viennent vont être absolument passionnantes en termes de recherche …

Quels sont, selon toi, les challenges prioritaires (technologiques ou autres) de ces secteurs pour les années qui viennent ? 

Faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050 est l’objectif ambitieux du Pacte Vert pour l’Europe (European Green Deal) mis en œuvre par l’UE. Dans ce contexte, le programme Clean Aviation mobilise la communauté aéronautique sur des projets de rupture qui visent à améliorer de 30 à 50% l’efficacité énergétique des avions d’ici 2035, et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Cenaero a été retenu pour contribuer à ce nouveau chapitre de l’aviation ! 

Le panel d’innovations et de ruptures technologiques nécessaires est très vaste, et surtout multiple, que l’on parle de l’avion régional électrique-hybride, de cœurs propulsifs thermiques ultra-frugaux et de carburants synthétiques pour les courts/moyens courriers ultra-efficaces ou de l’avion à hydrogène. Les méthodes numériques devront être déclinées à façon pour supporter l’idéation, la conception et la maturation de toutes ces technologies.

La gestion des talents et des compétences (formation, recrutement, pérennisation) est particulièrement stratégique, comme pour beaucoup de secteurs. Au niveau numérique, l’on peut dire que le futur sera non seulement digital, mais cognitif. L’explosion de la donnée doit être maîtrisée par la transparence (sur la donnée captée, les incertitudes associées et les raisonnements des traitements de données) pour une exploitation contrôlée de la puissance de l’IA par l’homme. Cela dépasse la technologie pour être un enjeu sociétal. 

Cenaero au service des ruptures technologiques

Cenaero synergise la simulation numérique, le calcul haute performance et l’intelligence artificielle au service des applications industrielles. Nous voulons contribuer à bâtir un nouveau paradigme digital pour le design, l’optimisation et la certification parallèle des matériaux, des procédés de fabrication et des systèmes. L’hybridation simulation/données, multi-échelle, sera au cœur de nos développements dans les années à venir. L’idée est de progresser vers le Graal de la « Predictive Science », en intégrant la modélisation et la connaissance partielle du réel. L’assimilation séquentielle, active, de données expérimentales et le contrôle dynamique de systèmes physiques, en lien avec le concept de DDDAS (Dynamic Data Driven Applications Systems) offriront une synergie complète entre un système physique et son jumeau numérique, nous voulons contribuer à explorer ce potentiel. 

Souhaites-tu passer un message personnel ou professionnel ? 

Si vous cherchez un partenaire digital de confiance, compétent et passionné, je vous encourage à contacter Cenaero !  

J’ai la très grande chance d’avoir des collègues fantastiques. Si vous cherchez un environnement de travail dynamique, ouvert et simulant, je vous encourage à rejoindre Cenaero !  

Et comme vous le constatez, il est tout à fait possible de s’épanouir dans une fonction comme la mienne en tant que femme…  Aujourd’hui, le déficit d’étudiantes en  « STEM »  (« Science, Technology, Engineering & Mathematics ») reste malheureusement criant alors que ce sont des domaines passionnants et porteurs … totalement indépendants du genre !