Rencontre avec Marylin Bastin, EUROCONTROL

Situé juste à côté de l’OTAN à Bruxelles, le siège d’EUROCONTROL est un vaste bâtiment blanc à l’allure un peu austère mais une fois à l’intérieur, l’ambiance est toute autre, l’accueil et la décoration s’avèrent particulièrement chaleureux. 

EUROCONTROL Headquarters, Brussels (Belgium). Image ©️Eurocontrol.

Nous attendons l’ascenseur sous l’œil bienveillant d’un imposant A380. A l’étage, nous avons rendez-vous avec Marylin Bastin, Head of Aviation Sustainability et Interim Director European Green Sky chez EUROCONTROL.

Le sujet du jour est bien entendu la décarbonation de l’aviation, sans nul doute l’un des plus grands défis du transport aérien mondial. 

EUROCONTROL Headquarters, Brussels (Belgium). Image ©️Eurocontrol.

Afin de contribuer à la décarbonation, l’aviation et l’OACI ont adopté une stratégie d’action qui s’articule autour de 4 axes : les avancées technologiques, l’amélioration des infrastructures, les carburants durables et les mesures fondées sur le marché. 

Quel sont les axes de développement les plus avancés et les plus prometteurs selon vous ?

Même si les avancées technologiques et les carburants « durables » devraient être, à ce jour, les principaux moteurs de la décarbonation, nous constatons que ce sont les mesures fondées sur le marché (mécanismes de compensation) qui ont toujours le plus d’impact. Ceci s’explique par le fait que la quantité de SAF (Sustainable Aviation Fuels) reste limitée. 

D’ici 2030, il me semble que l’axe sur lequel nous pouvons avancer est celui de l’ATM c’est à dire faire en sorte que le réseau européen soit le plus efficace possible ce qui se traduit par une optimisation des trajectoires, plus de prédictibilité, plus d’échange d’informations entre l’avion et le sol,… L’optimisation des trajectoires porte aujourd’hui sur toute la trajectoire de l’avion et les différentes phases de vol. Même s’il reste des nœuds d’inefficacité liée aux TMA (c’est le cas des phases de montées et de descentes soumises à l’espace aérien règlementé), la gestion du transport aérien est incontestablement l’un des outils qui permet de diminuer l’impact environnemental et climatique du transport aérien en Europe. 

En guise de conclusion, je dirais que, dans l’attente des SAF et de la mise sur le marché d’appareils plus performants, l’ATM est certainement l’une des pistes les plus avancées qui nous permet d’agir, à court terme, sur la source des émissions. Il est cependant indéniable que les SAF seront amenés à jouer un rôle primordial pour atteindre les objectifs de décarbonation en 2050.

Le dernier numéro du magazine « Aviation Sustainability Briefing » d’EUROCONTROL aborde les effets non-CO2 de l’aviation dont les trainées de condensation. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Pour réduire son impact, l’aviation doit aussi limiter les effets non-CO2 produits par la combustion du kérozène. Il s’agit de vapeur d’eau, d’oxyde d’azote et de particules. 

Les trainées de condensation se forment lorsque les conditions atmosphériques permettent à la vapeur d’eau de se condenser autour des suies dans le panache des moteurs pour former des gouttes d’eau, qui gèlent ensuite en cristaux de glace. Si l’air ambiant est suffisamment humide, les trainées persistent, fusionnent et s’étendent jusqu’à former des nuages de glace appelés cirrus induits[1]

Ce sont les trainées de condensation qui deviennent permanentes qui posent problème car elles augmentent la couverture nuageuse. De jour, les cirrus réfléchissent le rayonnement solaire ce qui a pour effet de refroidir le climat mais la nuit, ces nuages empêchent l’évacuation de la chaleur ce qui provoque un réchauffement. Toutes les trainées de condensation n’ont pas le même impact et le sujet est complexe, il mériterait un article à lui tout seul (sourire). 

Image ©️EUROCONTROL

Il est bien entendu possible d’éviter les régions atmosphériques où se forment les trainées persistantes.  L’un des grands débats qui anime, aujourd’hui, les professionnels de l’aviation et les scientifiques est  précisément de savoir s’il est préférable d’éviter ces zones en consommant plus de carburant et en émettant plus de CO2. Dit autrement : faut-il donner la priorité à la réduction de CO2 ou de non-CO2… Nous n’avons pas encore la réponse. 

La digitalisation du secteur pourrait -elle contribuer à une gestion plus optimale et donc plus sustainable du transport aérien ? 

La digitalisation et le partage des données sont des éléments clefs qui permettent d’optimiser la gestion du transport aérien. Si l’on reprend l’exemple des effets CO2/non-CO2, nous avons besoin de grandes quantités de données pour identifier et appréhender ces phénomènes. Les outils d’intelligence artificielle nous aident à accélérer le traitement de ces données afin de prendre les mesures adéquates et aller toujours plus loin dans l’optimisation de la gestion du transport aérien.

Où en sont les avancées du programme SESAR ? 

Le programme SESAR progresse et nous avons déjà généré une centaine de projets dont certains résultats ont déjà été intégrés par les parties prenantes du secteur de l’aviation.   

Aujourd’hui, SESAR 3 se concentre sur la modernisation de la gestion du trafic aérien et les solutions technologiques de pointe pour gérer les avions conventionnels, les drones, les taxis aériens et les véhicules volant à très haute altitude.

Le programme SESAR se révèle un accélérateur de recherche et joue un rôle de catalyseur pour accélérer la transition vers une Europe neutre pour le climat et numérique.

La croissance du trafic aérien semble inexorable. A moins que les caractéristiques du trafic ne changent, les avancées technologiques visant à réduire les émissions ne seraient pas en mesure de compenser les émissions engendrées par les vols supplémentaires . Quelle est votre perception ? 

Il me semble que l’on passe à côté du vrai débat qui doit être plus global. L’aviation est l’un des secteurs qui contribue aux émissions de CO2 et personne n’est là pour remettre ce constat en question. Chez EUROCONTROL, nous mettons tout en œuvre pour voler « mieux » c’est à dire optimiser le vol pour limiter l’impact environnemental et climatique. 

Je n’ai, par ailleurs, pas de problème à parler de sobriété c’est-à-dire à évoquer le fait de « voler moins » mais je m’interroge sur l’attention et le focus qui se portent systématiquement sur l’aviation alors que les activités d’autres secteurs ont un impact bien plus significatif. 

Au sein du secteur des transports, l’aviation n’est pas le plus mauvais élève. D’après les données de l’agence internationale de l’énergie, les transports sont responsables de 24% des émissions directes de CO2, résultant de la consommation de carburant, les véhicules routiers étant à l’origine de près de 75% de celles-ci. 

Je ne dis pas ceci pour me « décharger » de la question mais je préfère aborder la mobilité et le transport dans sa globalité et à l’échelle mondiale. Pour l’heure, l’urgence est, pour moi, de décarboner l’aviation, d’accélérer l’innovation, de favoriser l’accès aux énergies renouvelables et au green financing.

 


[1] Les effets non CO2 de l’aviation, ENAC Alumni magazine, N°29